L’horizon, le paysage immobile de l’homme en mouvement


Sandra Labaronne explore l’horizon, celui de la condition humaine. Effaçant les limites, elle ouvre sa réflexion sur d’autres horizons : l’être humain et le paysage, l’être humain dans le monde d’aujourd’hui, l’être humain migrant – migrateur comme les oiseaux. 


L’être humain se déplace pour survivre. Pour retrouver un horizon.


« On va toujours pouvoir bouger » : tel est le credo de la condition des Porteños (habitant de Buenos Aires). Buenos Aires, ville ouverte. Le Río de la Plata s’offre à l’océan Atlantique. Aller de l’autre côté, c’est aller vers un nouvel horizon, vers un inconnu chargé d’espérance. 


Partir ainsi, c’est déplier ses ailes à la manière d’un papillon. C’est accéder à sa liberté.

Si Sandra a vécu sous une dictature, elle a gardé en permanence l’horizon dans son regard afin d’être dans le monde.


Ce regard unique s’exprime dans l’ensemble de son œuvre.


Comment – pour ne citer que cet exemple – ne pas être touché, ne pas se sentir ému au tréfonds de soi, par les notes de mélancolie de En el campo de la Infancia ! Le paysage, l’animal et l’enfant ne font qu’un, rassemblés par la fusion des couleurs et des éléments. L’œil entre dans ce paysage, il se sent la fibre voyageuse.


L'atmosphère des toiles, ces pastels de tendresse, donnent déjà la mélodie, mélancolique, – mais jamais triste – de l’exposition.

Dans cet espace où les tableaux sont des maillons vivants, les créations sonores de son fils, Rodrigo Díaz, créent de la matière, génèrent une incarnation, des correspondances enveloppantes ; font naître des paysages où les sens sont revivifiés.


Le spectateur est immergé dans un monde mémoriel et onirique où la vie est plus puissante que celle de l’immédiat quotidien car elle rassemble les fils brisés de l'enfance, les souvenirs gravés dans l'inconscient éternel. L'œil plonge dans la mer accueillante des couleurs, la peau imagine la caresse de l'onde...


Des voix éteintes se raniment, viennent apaiser nos blessures.


L’horizon, pour le géographe, est une ligne imaginaire qui s'éloigne au fur et à mesure que l'on s'avance vers son territoire. Cependant, loin d’être un mirage, l’horizon, par sa faculté d’échapper à toute capture, oblige à accepter le mouvement par lequel s’écoule l’énergie de la vie, et son émotion.


Et comme Sandra le confie, c'est cet imaginaire lié à l’horizon qui travaille le regard et la pensée, transcende les dimensions. 


L’horizon est une frontière... sans frontière. Passer au-delà (chacun fera comme il peut), c'est peut-être accéder à une beauté sans rivale. À la possibilité de l’amour.


Telle est la quête de l'artiste qu’est Sandra Labaronne. 



François Augé

François Augé a publié son premier livre, Lumière cachée, un recueil de poèmes, en 2007. 

Échappées (poèmes) en 2021. Il a également publié des essais : La vie avec soi, Nos vies en lecture, un roman : Début de roman. Son dernier ouvrage, Roman argentin, vient de paraître (2022).

Il a enseigné le français pendant 40 ans. De cette expérience sont venus trois essais : L’école est finie, L’école de A à Z (Petit dictionnaire personnel), Petites choses sur l’école.

(Editions Harmattan).


L’horizon,  le paysage immobile de l’homme en mouvement


Depuis toujours mon travail artistique tourne autour de la condition humaine et depuis quelques années plus précisément sur l’identité dans toutes ses formes, les migrations, les traces, la mémoire…


Ce sont des mots qui ont pris pour moi de nouvelles significations suite a ma propre migration, et qui ont éveillé mon intérêt pour d’autres histoires du mouvement dans le monde: celles de mes ancêtres dans les siècles passés, celles des inconnus qu’ils ont côtoyés dans leur aventure et celles d’aujourd’hui, qui continuent à nourrir les dialogues culturels, économiques, politiques et religieux. 


C’est à partir de cette recherche, que l’horizon s’est imposé à moi comme seul paysage possible pour une humanité en mouvement permanent. Cette ligne imaginaire, qui nous ramène irrémédiablement au paysage, renferme en elle d’autres idées qui renforcent l’état d’esprit de ceux qui partent. Ce « changer d’horizon » ou « élargir son horizon » donne l’élan vital de se « jeter » dans un inconnu dans lequel le seul élément, imaginaire certes, mais reconnaissable par toutes les cultures, c’est l’horizon...


©Sandra Labaronne 2020



Libre évocation


Partir. Prendre le départ. Aller plus loin. Au fond du tableau, un horizon est là. S’offre. Diffus en ses couleurs fondues. Une pluie d’espérance pour laver les souffrances. Un exil merveilleux. Un monde en promesse, plus loin… toujours plus loin.


Une silhouette s’efface sous de fines lignes. Un geste attend. Le regard innocent. Juvénile. Grave. Intense. Pénétrant. Regard de petite fille qui aspire en nous l’immense horizon. Le redéploie. Évident. Les frontières se brouillent. S’embrouillent-elles ? Qu’est-ce qu’une frontière ? Aucune limite ne surgira ! Les couleurs. Toute la palette. Côté à côte. L’une vers l’autre. Un pont d’émotions entre la toile et nous. Entre l’exil et l’attente. Toutes ces couleurs qu’un camaïeu prolonge. Évase. Nous évase. 


Traverser l’espace où l’un capte le divers. Des figures grises cherchent notre œil. Entrent en nous et vivent cette vie d’au-delà de soi. Ensemble. Toi, là. Moi, ici. Nous, partout. Les routes ne sillonnent plus le paysage. Ne conduisent pas. L’élan est intérieur. Va en intérieur. Transforme corps et cœur en âme. Des routes : des résonances. Des échos magiques dans un œil enfantin, sur un bateau de papier, près d’un doudou vieilli. Tout est précaire. Prière insistante. Invitation des ailleurs intérieurs. 


Traversée. Bien plus qu’un geste. Quelque chose d’immobile. Un calme suspendu. Une attente. Un espoir. Une traversée. Derrière le visage de qui sait un mystère et qui l’ouvre juste assez pour qu’en échappent nos rêves. Transcendance en présences. Un creux fécond où renouer le destin. Le temps n’a pas passé entre hier et demain. 


De toiles en dessins, des images en miroir nous requièrent, nous, sujets inattendus. Je suis là où j’étais. Je serai déjà loin quand ici reviendra. Exister n’est pas simple. Dans la déchirure de l’art, une brèche de lumière. 


Châssis et cadres accrochés. L’œuvre file. Les tableaux parlent en échos et nous les écoutons, incrédules et confiants. C’est l’instant où l’œil qui contemple croise la main qui crée. Un instant délivré des heures. Y affleure l’humain entre hommes femmes enfants. 


Merci Sandra ! En toi, l’artiste refait le monde en rond. Sans faux-fuyants. Le voyage commence quand, silence et solitude, nos yeux s’ouvrent à plus que l’histoire. Ton œuvre traversante fait retour du mystère. 


Elsa Jeandel

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